Q3 – Les autres
sont-ils un obstacle
à ma liberté ?

Cédric Eyssette (2021-2022)
https://eyssette.github.io/

  • À quoi le terme de “liberté” vous fait-il penser ?
  • Que signifient les expressions : “être libre comme l'air”, “un couple libre” ?
  • Donnez des exemples de situations où vous êtes libres et où vous n'êtes pas libres

Point méthode

Pour analyser une notion, il faut noter au brouillon ce à quoi la notion nous fait penser (des synonymes, des expressions, des idées ou des situations associées à cette notion).

  1. Vous échouez sur une île. Vous êtes seul·e, l'île est déserte. Vous commencez à vous organiser pour vivre. Avez-vous plus de libertés ou moins de libertés qu'auparavant ?
  2. Un groupe de 100 survivants vient d'arriver sur votre île. Qu'est-ce qui peut se passer ? Avez-vous plus de libertés ou moins de libertés qu'auparavant ?

🔴

Hobbes

Marx

vs.

À première vue, la liberté, c'est ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Mais est-ce si simple ? En effet, ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

  1. R1 : Première réponse possible au sujet
  2. R2 : Deuxième réponse possible au sujet,
    opposée à R1

I – Hobbes

Première partie

Définition

  • La liberté négative désigne l'absence d'obstacles.
  • Je suis libre en ce sens s'il n'y a pas d'obstacles extérieurs qui m'empêchent d'agir conformément à mes choix.

« [N]ous trouvons dans la nature humaine trois principales causes de querelle : premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la défiance ; et troisièmement la fierté. »

Thomas Hobbes, Léviathan

Les êtres humains pour Hobbes ont tendance à entrer en conflit les uns avec les autres.

  1. Cette tendance est inscrite dans la nature de l'être humain. Elle ne dépend pas essentiellement de circonstances extérieures.
  2. On a ici une anthropologie qui se veut réaliste et non pas idéaliste. Hobbes prétend décrire les êtres humains tels qu'ils sont et non pas tels qu'on voudrait qu'ils soient.

Il y a 3 causes principales de conflit :

  1. La rivalité
    • Un bien rival est un bien qui conduit à une situation d'incompatibilité des désirs : la satisfaction du désir de l'un empêche la satisfaction du désir de l'autre.
    • Le bien rival principal pour Hobbes, c'est le pouvoir, la domination à la fois matérielle, économique et sociale.
    • Le pouvoir est un bien rival car avoir du pouvoir c'est avoir plus de pouvoir que les autres.
  1. La défiance
    • On ne fait pas confiance aux autres car on se représente autrui comme un ennemi potentiel, un rival possible.
    • Chacun anticipe le fait que les autres risquent de chercher à me prendre du pouvoir.
  2. La fierté
    • Le fondement de la fierté c'est une représentation de soi, de son identité, de ses capacités.
    • Les autres peuvent porter atteinte à cette représentation que j'ai de moi-même : nous pouvons alors entrer en conflit pour un rien (un sourire, un regard …)

« Par là, il est manifeste que pendant le temps où les hommes vivent sans un pouvoir commun […], aussi longtemps que chaque homme détient ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l'état de guerre. »

Thomas Hobbes, Léviathan

Par nature les êtres humains sont dans un état de guerre. Il n'y a pas d'autorégulation, pas d'harmonie naturelle.

  1. Sans pouvoir supérieur pour imposer des règles, il n'y a pas d'ordre social. L'anarchie comme absence d'autorité hiérarchique conduit à l'anarchie comme état de désordre.
  2. L'état de guerre est un état de misère (insécurité, impossibilité de la coopération, aucun progrès social) : il faut absolument trouver un moyen d'en sortir.

« La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, qui puisse être capable de défendre les hommes […] des torts qu'ils peuvent se faire les uns aux autres, et par là assurer leur sécurité […] est de rassembler tout leur pouvoir et toute leur force sur un seul homme, ou sur une seule assemblée d'hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés […] à une seule volonté […], de telle manière que c'est comme si chacun devait dire à chacun : J'autorise cet homme, ou cette assemblée d'hommes, j'abandonne mon droit de me gouverner à cet homme, ou à cette assemblée, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et autorise toutes ses actions de la même manière. »

Thomas Hobbes, Léviathan

Reconstruction de l'argument de Hobbes

II – Marx

Deuxième partie

Définition

  • La liberté réelle désigne le fait d'avoir la capacité de réaliser ses choix.
  • Je suis libre en ce sens si j'ai les ressources nécessaires pour pouvoir effectivement réaliser ce que je veux.

« Le point fondamental sur lequel Marx insiste […] c'est que le concept libéral de liberté naît d'une présupposition qui constitue sa base : la liberté de chacun n'est vue qu'en opposition avec la liberté d'autrui, comme une limite de la liberté des autres, comme une frontière qui protège l'individu de l'intrusion d'autrui. […] La liberté - pour s'exprimer métaphoriquement - est comme une propriété privée qui ne peut s'étendre qu'aux dépens des propriétés voisines. La loi détermine la juste limite de la liberté de chacun […]. »

Stefano Petrucciani, « Marx et la critique de l'égalité politique », Actuel Marx, vol. 8, n°2

Marx s'oppose à deux idées :

  1. L'idée que liberté doit être conçue comme une propriété privée, comme un bien personnel.
  2. L'idée que la liberté est un bien rival (si j'ai plus de libertés, les autres en ont moins).

« Marx oppose une critique claire et incisive à cette façon d'entendre la liberté […]. Il est tout à fait possible, selon lui […], de concevoir une forme du rapport entre les hommes où la liberté de chacun ne serait pas la limite, mais au contraire la réalisation de la liberté de l'autre, la condition positive pour le développement de la liberté de tous. […] Le libre développement d'un individu ne devient une limite ou un obstacle au développement des autres individus que lorsqu'il se réalise dans le cadre de la loi de l'intérêt privé et de la propriété privée […]. Cela n'est plus vrai si l'on dépasse l'enfermement de l'individu dans son intérêt privé : si la liberté est la capacité de contrôler et de diriger rationnellement sa propre vie, d'objectiver les capacités humaines et de développer les jouissances humaines. »

Stefano Petrucciani, « Marx et la critique de l'égalité politique », Actuel Marx, vol. 8, n°2

  1. La liberté réelle suppose le développement des capacités et des ressources des êtres humains.
  2. Les capacités et ressources des êtres humains se développent grâce aux autres.
  3. Donc : Les autres ne sont pas un obstacle à la liberté réelle, mais une condition.

Mise en pratique

Exercice d'application

  • Choisir un sujet ci-dessous :
    • Ai-je intérêt à la liberté d'autrui ?
    • Ma liberté s'arrête-t-elle là où commence celle des autres ?
    • Affirme-t-on sa liberté en refusant toute contrainte ?
    • La liberté exclut-elle toute limite ?
    • La liberté de chacun a-t-elle pour condition la liberté de tous ?
    • La vie sociale est-elle toujours conflictuelle ?
  • Rédiger une sous-partie de dissertation (200 mots minimum) : ⚠️ il faut défendre une seule réponse, mobiliser le cours (Hobbes ou Marx), et utiliser le modèle ARES

Questions 1 et 2 : liberté de la volonté Dans cette question : liberté d'action Faire des choix qui proviennent véritablement de soi-même Pour l'année prochaine : introduire dès le début du chapitre cette distinction, et commencer par la liste d'exemples de situations

100-150 mots

ne pas être empêché de faire ce que l'on veut

Parmi les obstacles : les autres Les autres peuvent constituer un obstacle Une source d'interférence, d'empêchements

Il y a 3 causes principales de conflit : 1/ La rivalité = une situation d'incompatibilité des désirs = la satisfaction du désir de l'un empêche la satisfaction du désir de l'autre (cf. en économie : distinction des biens rivaux et des biens non-rivaux) La rivalité est principalement une lutte pour le pouvoir, pour la domination dimension matérielle et économique (lutte pour la possession et l'usage de certains biens) mais aussi dimension sociale (avoir des alliés, avoir une autorité, une influence) Le pouvoir est un bien rival car le pouvoir n'existe que si on a plus de pouvoir que les autres : donc le désir de pouvoir des autres entre nécessairement en conflit avec mon désir de pouvoir (si les autres ont plus de pouvoir, j'en ai moins) 2/ La défiance = méfiance On se représente autrui comme un ennemi potentiel, un rival possible. = Une anticipation fondée sur l'idée que les autres cherchent à satisfaire leurs propres intérêts (< un prétendu réalisme) => pas de confiance possible (les autres risquent de désirer me prendre du pouvoir pour en avoir plus) 3/ La fierté Le fondement de la fierté c'est une représentation de soi, de son identité, de ses capacités. Les autres peuvent porter atteinte à cette représentation que j'ai de moi-même. Nous pouvons alors entrer en conflit pour un rien : un sourire, un regard … (nous sommes par nature sensibles au jugement des autres). Il s'agit ici d'une lutte symbolique pour la reconnaissance de sa puissance. Au fond, les êtres humains sont animés par un désir de puissance qui les conduit à entrer en conflit les uns avec les autres. ---- Une anthropologie pessimiste : les causes de l'état de guerre sont dans la nature humaine (et non dans des circonstances extérieures, contingentes). La rivalité, la défiance, la fierté : 3 causes qui montrent que L'état de guerre n'est pas un état de déferlement sauvage des pulsions (l'image du loup, la comparaison avec Freud). La racine de l'état de guerre tient à la nature même du désir, qui pour Hobbes est une forme de désir de puissance. Le désir de puissance des autres est un obstacle à mon propre désir de puissance. "L'altérité est pensée sur le mode de l'adversité" Rivalité : incompatibilité des désirs Si l'un réalise son désir, cela empêche l'autre de réaliser le sien (il n'est pas possible de réaliser tous les deux notre désir) rivalité en cas de même désir pour une même chose (en cas de bien rival : bien exclusif ≠ bien non-rival, voire anti-rival) rivalité en cas de désir différents incompatibles (je désire faire la fête, mon voisin désire se reposer …) Défiance : anticipation de l'avenir conduit à s'approprier certains biens (par crainte que l'autre ne se les approprie) Fierté On ne supporte pas la supériorité des autres

État de guerre ≠ déferlement sauvage de pulsions agressives (cf. La purge = American Nightmare) Coordination horizontale impossible : la rationalité de l'intérêt bien compris ne suffit pas à garantir la coopération Par nature les êtres humains sont dans un état de guerre. Il n'y a pas d'autorégulation, pas d'harmonie naturelle. Sans pouvoir supérieur pour imposer des règles, il n'y a pas d'ordre social. Cet état de guerre est un état de misère (insécurité, méfiance perpétuelle, impossibilité de la coopération, aucun progrès social). Il est nécessaire de trouver un moyen de sortir de l'état de guerre ---- L’état de guerre est un état fictif, mais qui représente une réalité possible (et en partie vécue par Hobbes) : celle d’une situation anarchique Pour Hobbes, l’anarchie, comme absence d’ordre, s’explique par l’anarchie, comme absence de pouvoir supérieur : il ne peut y avoir d’ordre social (plan horizontal des relations entre individus) sans une régulation par un État (plan vertical de la relation entre l’État et les individus). Hobbes s’oppose à l’idée d’autorégulation, ou d’harmonie naturelle qu’on retrouve plus tard : chez Mandeville (La Fable des abeilles) et Adam Smith (l’image de la main invisible). Hobbes s’oppose à l’idée que le conflit, la concurrence seraient source de progrès. Contra : cf. Kant. L’état de guerre comme “disposition connue au combat”. À nouveau : l’état de guerre n’est pas une affaire de pulsions, mais surtout de représentations (et de prévision rationnelle d’un conflit possible). Chaque individu ne peut compter que sur lui-même. Aucune association stable n’est possible. Un état de misère à plusieurs niveaux : misère matérielle et économique, misère intellectuelle et culturelle, misère sociale et psychologique Comparaison avec l’état de nature selon Rousseau.

https://eyssette.github.io/argument-map/#[{%22id%22:%22p2%22,%22text%22:%22Je%20ne%20peux%20pas%20par%20mon%20seul%20pouvoir%20me%20garantir%20de%20la%20libert%C3%A9%20des%20autres%22,%22x%22:1870,%22y%22:513,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22p1%22,%22text%22:%22La%20libert%C3%A9%20des%20autres%20est%20un%20obstacle%20%C3%A0%20ma%20libert%C3%A9%22,%22x%22:1596,%22y%22:502,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22c1%22,%22text%22:%22Il%20doit%20y%20avoir%20un%20pouvoir%20commun%20qui%20prot%C3%A8ge%20chacun%20des%20exc%C3%A8s%20possibles%20de%20la%20libert%C3%A9%20des%20autres%22,%22x%22:1732,%22y%22:709,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22dwaho%22,%22text%22:%22Ce%20pouvoir%20ne%20peut%20exister%20que%20si%20nous%20acceptons%20de%20laisser%20ce%20pouvoir%20d%C3%A9cider%20des%20r%C3%A8gles%20communes%22,%22x%22:2012,%22y%22:707,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22btouk%22,%22text%22:%22Le%20pouvoir%20commun%20repose%20sur%20un%20abandon%20d'une%20partie%20de%20sa%20libert%C3%A9%20et%20sur%20une%20autorisation%20donn%C3%A9e%20%C3%A0%20l'autorit%C3%A9%20de%20d%C3%A9cider%20des%20r%C3%A8gles%22,%22x%22:1877,%22y%22:929,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22so8za%22,%22text%22:%22Mais%20il%20faut%20aussi%20qu'il%20n'y%20ait%20pas%20d'int%C3%A9r%C3%AAt%20%C3%A0%20ne%20pas%20suivre%20les%20r%C3%A8gles%20communes%22,%22x%22:2123,%22y%22:909,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22cql2d%22,%22text%22:%22Le%20pouvoir%20commun%20doit%20avoir%20les%20moyens%20de%20sanctionner%20le%20non-respect%20des%20r%C3%A8gles%20:%20au%20lieu%20de%20craindre%20les%20autres,%20il%20faut%20que%20chacun%20craigne%20le%20pouvoir%22,%22x%22:2011,%22y%22:1169,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%221djdk%22,%22type%22:%22donc%22,%22from%22:[%22p1%22,%22p2%22],%22to%22:%22c1%22},{%22id%22:%22atdgg%22,%22type%22:%22donc%22,%22from%22:[%22c1%22,%22dwaho%22],%22to%22:%22btouk%22},{%22id%22:%22w3u6q%22,%22type%22:%22donc%22,%22from%22:[%22btouk%22,%22so8za%22],%22to%22:%22cql2d%22}]

exemple : être libre de partir en vacances

Rappel de la position précédente : La liberté conçue comme une propriété, comme un bien, comme un bien rival : si j'ai plus de libertés, les autres en ont moins.

La liberté réelle suppose le développement des capacités et des ressources des êtres humains Les capacités et ressources des êtres humains se développent grâce aux autres Donc : Les autres ne sont pas un obstacle à la liberté réelle, mais une condition

_class: i1t1 vertical Reconstruction de l'argument de Marx [![h:440](https://i.ibb.co/LZ2jgG4/argument-Marx-liberte.png)](https://bit.ly/30yZFgT) https://eyssette.github.io/argument-map/#[{%22id%22:%22p2%22,%22text%22:%22Les%20capacit%C3%A9s%20et%20ressources%20des%20%C3%AAtres%20humains%20se%20d%C3%A9veloppent%20gr%C3%A2ce%20aux%20autres%22,%22x%22:581,%22y%22:101,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%221djdk%22,%22type%22:%22donc%22,%22from%22:[%22p1%22,%22p2%22],%22to%22:%22c1%22},{%22id%22:%22c1%22,%22text%22:%22Les%20autres%20ne%20sont%20pas%20un%20obstacle%20%C3%A0%20la%20libert%C3%A9%20mais%20une%20condition%22,%22x%22:414,%22y%22:313,%22lineType%22:%22solid%22},{%22id%22:%22p1%22,%22text%22:%22La%20libert%C3%A9%20r%C3%A9elle%20suppose%20le%20d%C3%A9veloppement%20des%20capacit%C3%A9s%20et%20des%20ressources%20des%20%C3%AAtres%20humains%22,%22x%22:236,%22y%22:104,%22lineType%22:%22solid%22}]