Q1 – Y a-t-il
des vérités
en morale ?

Cédric Eyssette (2021-2022)
http://eyssette.github.io

Discussion sur des cas d’éthique appliquée

  • La prostitution
  • La pornographie
  • La fidélité en amour
  • Les drogues
  • L’avortement
  • L’usage des biotechnologies (dopage, modifications génétiques) pour améliorer
    l’être humain
  • La gestation pour autrui
    (les mères porteuses)
  • Le mariage homosexuel
  • L’adoption d’un enfant par un couple homosexuel
  • Le clonage
  • L’euthanasie
  • La peine de mort
  • La guerre
  • L’usage de la violence pour s’opposer à une loi
  • La torture
  • Les inégalités économiques et sociales
  • L’aide humanitaire
  • L'environnement, la nature
  • Les migrations
  • La consommation de viande
  • La corrida
  • Les expériences scientifiques sur les animaux

Point méthode

Il est important de donner un sens concret à la question qui est posée. Il faut chercher à la rapporter à des enjeux réels.

🔴

Les opposants au
réalisme moral

Le réalisme
moral

vs.

Définition

Le réalisme moral (au sens large) est l'idée qu'il y a des vérités en morale.

À première vue, la morale désigne ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Mais est-ce si simple ? En effet, ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

  1. R1 : Première réponse possible au sujet
  2. R2 : Deuxième réponse possible au sujet,
    opposée à R1

I – Les
opposants au
réalisme moral

Première partie

A. Le subjectivisme moral

Définition

Le subjectivisme moral est l'idée qu'il n'y a pas de vérité objective en morale. Les jugements moraux sont l'expression d'un point de vue subjectif

  1. Le subjectivisme moral repose sur une distinction entre 2 types de jugements.
Jugement de fait Jugement de valeur
? ?
? ?
? ?
  1. Répond à la question : « qu'est-ce qui est bien /
    meilleur / utile / beau ? »
  2. Se réduit à une description ou une explication du monde tel qu'il est
  3. Exprime l'engagement du sujet envers certaines valeurs
  4. Contient une évaluation
    en fonction d'une norme
    ou d'un idéal
  5. Prétend n'être qu'un constat neutre et objectif de
    la réalité
  6. Répond à la question : « qu'est-ce qui est vrai ? »
Jugement de fait Jugement de valeur
6 Répond à la question : « qu'est-ce qui
est vrai ? »
1 Répond à la question : « qu'est-ce qui est bien /
meilleur / utile / beau ? »
2 Se réduit à une description ou une explication du
monde tel qu'il est
4 Contient
une évaluation
en fonction d'une
norme ou d'un idéal
5 Prétend n'être
qu'un constat neutre
et objectif de la réalité
3 Exprime l'engagement
du sujet envers
certaines valeurs

« Le vice vous échappe totalement, tant que vous considérez l'objet. Vous ne pouvez jamais le trouver avant d'orienter la réflexion vers votre propre cœur et de constater qu'un sentiment de désapprobation s'élève en vous contre cet acte. Voilà un fait : mais il est l'affaire de l'impression et pas de la raison. Il se trouve en vous-même, non dans l'objet. »

David Hume, Traité de la nature humaine, livre III, première partie, section I

  1. Un jugement moral n'est pas un jugement de fait, c'est l'expression d'un sentiment.
  2. Exemples : le dégoût, l'indignation, la révolte, la culpabilité …

Argument

  1. Les valeurs ne sont pas des propriétés objectives, observables par la perception, ou démontrables par un raisonnement.
  2. Donc : on ne peut pas prouver objectivement la vérité d'un jugement de valeur.

B. Le relativisme culturel

1/ Premier argument

« [D]ès notre naissance, l’entourage fait pénétrer en nous, par mille démarches conscientes et inconscientes, un système complexe de références consistant en jugements de valeur, motivations, centres d’intérêt »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Définition

L'ethnocentrisme, au sens faible, désigne un biais cognitif : nous avons tendance à percevoir les choses à travers le filtre de notre propre culture

Argument 1

  1. Les croyances morales d'une personne sont façonnées par le code moral de la culture à laquelle elle appartient.
  2. Les codes moraux diffèrent selon les cultures.
  3. Donc : il n'y a pas de vérités morales universelles.

« Un jour Darius, ayant appelé près de lui des Grecs […] leur demanda pour quelle somme ils pourraient se résoudre à se nourrir des corps morts de leurs pères. Tous répondirent qu'ils ne le feraient jamais, quelque argent qu'on pût leur donner. Il fit venir ensuite les Calaties, peuples des Indes, qui mangent leurs pères ; il leur demanda […] quelle somme d'argent pourrait les engager à brûler leurs pères après leur mort. Les Indiens, se récriant à cette question, le prièrent de ne leur pas tenir un langage si odieux : tant la coutume a de force. »

Hérodote, Histoire, III, 38

2/ Deuxième argument

« L’attitude la plus ancienne […] consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles, morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. “Habitudes de sauvages”, “cela n’est pas de chez nous”, “on ne devrait pas permettre cela”, etc. »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Définition

L'ethnocentrisme au sens fort désigne une hiérarchisation des cultures qui repose sur une survalorisation de sa culture (“nous, les civilisés”) et une infériorisation des autres cultures (“eux, les barbares”).

« [C]hacun appelle barbarie ce qui ne fait pas partie de ses usages. Car il est vrai que nous n’avons pas d’autres critères pour la vérité et la raison que les exemples que nous observons et les idées et les usages qui ont cours dans le pays où nous vivons. C’est là que se trouve, pensons-nous, la religion parfaite, le gouvernement parfait, l’usage parfait et incomparable pour toutes choses. »

Montaigne, Essais, I, 30

Affiche du film Pocahontas

Affiche du film Avatar

Argument 2

  1. Croire qu'il existe des vérités en morale, c'est souvent croire en la supériorité de sa propre culture.
  2. Cela peut nous conduire à une forme d'intolérance qui n'est pas acceptable
  3. Donc : il faut se méfier de la croyance en des vérités en morale.

Dévoilement des femmes à Alger en 1958 : une photographie

II – Le
réalisme
moral

Deuxième partie

A. Critique du relativisme culturel

Deux objections principales

  1. Le RC est contradictoire :
    • Il affirme qu'il n'y a pas de vérités universelles en morale …
    • … mais présuppose qu'il en existe au moins une : l'exigence de la tolérance envers la diversité culturelle.
  1. Le RC conduit à des conséquences problématiques :
    • La valorisation de la conformité avec les normes sociales dominantes
    • L'impossibilité de penser un progrès moral
    • L'acceptation de pratiques intolérables

Exemple 1 : Les chats brûlés lors des feux de la St-Jean

Exemple 2 : Les hyènes du Malawi

Exemple 3 : Les mutilations génitales féminines (l'excision)

B. Critique du subjectivisme moral

Les jugements moraux ne sont pas de simples réactions subjectives.

  1. Il faut distinguer les jugements de valeur et les jugements de préférence.

Un jugement de préférence exprime un simple goût personnel.

  1. Un jugement de valeur prétend exprimer une vérité et on peut chercher à justifier ou critiquer ce jugement.

1/ Il est possible de faire appel à certaines intuitions morales

« Je vois par exemple que 2 fois 2 font 4, et qu'il faut préférer son ami à son chien, et je suis certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. »

Malebranche, De la recherche de la vérité, Xᵉ éclaircissement

2/ Il est possible de raisonner en morale et de distinguer des bons et des mauvais raisonnements

« Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent. »

Malebranche, De la recherche de la vérité, Xᵉ éclaircissement

Exemples de raisonnements incorrects

  1. Les raisonnements motivés par l'intérêt personnel plutôt que par des raisons proprement morales : exemple
  2. Les raisonnements qui se fondent sur des prémisses factuelles fausses : exemple
  3. Les raisonnements incohérents ou qui conduisent à des incohérences : exemple
  4. Les raisonnements non valides d'un point de vue logique : exemple

Mise en pratique

Exercice d'application

  • Choisir un sujet ci-dessous :
    • La morale est-elle affaire de sentiments ?
    • Le bien et le mal sont-ils des conventions ?
    • Les valeurs morales sont-elles le reflet de la société ?
    • Peut-on juger objectivement la valeur d’une culture ?
    • Puis-je sortir de ma culture ?
    • Suis-je ce que ma culture a fait de moi ?
    • Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ?
    • Peut-on s'accorder sur des vérités morales?
  • Rédiger une sous-partie de dissertation (autour de 300 mots)
    ⚠️  il faut défendre une seule réponse, mobiliser le cours, et utiliser le modèle ARES

Pour l'année prochaine : distinguer 2 questions : - Y a-t-il des vérités en morale ? (Hume vs. Malebranche) - La morale est-elle relative ? (Mettre seulement textes de Lévi-Strauss et Montaigne)

Noter les thèmes qui vous ont le plus intéressé Si le temps : choisir un thème sur lequel il y a eu débat ; défendre à l'écrit votre position (au moins 1 argument précis) ; trouver dans la classe un élève qui n'est pas d'accord avec vous : cet élève devra vous répondre à l'écrit et expliquer les raisons de son désaccord

Textes : https://docs.google.com/presentation/d/1HSVM_TI0fbDRCkaYSCbOvPEtg2yLEkNf9trotkX9J9I/edit?usp=sharing

On devrait en fait plutôt parler de cognitivisme moral (ou d'objectivisme moral) et distinguer parmi les différentes formes de cognitivisme (ou d'objectivisme moral) : - Le réalisme moral au sens strict : objectivité + indépendance vis-à-vis de l'esprit - Le constructivisme moral : objectivité + dépendance vis-à-vis de l'esprit

100-150 mots

--- _class: pp <style scoped> img {position:absolute!important; top:0; left:0; width:90%!important; display:block; height:710px; margin: 10px 50px; } </style> 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot-part1.svg) 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot-part2.svg) 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot-part3.svg) 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot-part4.svg) 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot-part5.svg) 1) ![](https://raw.githubusercontent.com/eyssette/graphviz-examples/master/diagram/2-arguments-contre-vérités-en-morale.dot.svg)

Le subjectivisme moral repose sur la distinction entre jugements de fait et jugements de valeur

Ajouter un exercice de classification avec des exemples de jugements ?

Un jugement moral n'est pas l'expression d'une vérité objective, c'est l'expression d'une impression subjective. Le bien et le mal ne sont pas des propriétés objectives dont on pourrait vérifier, constater l'existence dans le monde. Les valeurs ne sont pas des propriétés observables par la perception, ou démontrables par un raisonnement.

Chez Hume, c'est en fait plus complexe que cela : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2021-4-page-525.htm

Quels exemples peut-on donner de la relativité des croyances morales ? / deuil : https://drive.google.com/file/d/1uKRCNHLSdnqoryWPJ2GJPkCyXOlNfCLm/view?usp=sharing

Cette tendance : pas biologiquement innée / mais socialement acquise La transmission sociale se fait : de manière explicite (inculcation) / et de manière implicite (imprégnation)

Exemple de l'endocannibalisme funéraire

On n'admet pas qu'on puisse penser et agir autrement que nous

En mai 1958 à Alger, des femmes européennes dévoilent publiquement des algériennes, recrutées par la contrainte pour participer à une manifestation de soutien à la France, et les forcent à retirer leur voile.

Reportage complet : https://www.youtube.com/watch?v=YYxb90Musk8 Dans certaines communautés du Malawi, malgré l’interdiction légale depuis 2003, subsiste encore un rituel de purification sexuelle (kusasa fumbi) : dès les premières règles d'une jeune fille, lors du décès d’un conjoint, ou pour construire une nouvelle maison, les familles malawites font appel à une “hyène” (un fisi). Ils paient un homme, dont c'est officieusement le “métier”, pour “purifier” le corps de leur fille ou de la femme par une relation sexuelle non consentie ni protégée.

Le dégoût ressenti face à l'idée de manger une tarentule frite ≠ le dégoût ressenti face à des actes de pédophilie

Gaebul ou “pénis de mer”

Il y a des intuitions morales robustes Comment pourrait-on prétendre que torturer un enfant pour le plaisir est quelque chose de bien ? Il semble légitime de dire que la souffrance est _prima facie_ un mal, et que se soucier des autres est_prima facie_ un bien. Même si nos intuitions restent vagues, elles peuvent fournir une première approche du domaine de la morale (certains philosophes défendent ainsi une forme d’intuitionnisme moral).

Exemples / éthique animale ? 1. « Manger de la viande, c'est trop bon ! » 2. « Les animaux ne souffrent pas », « Les animaux sont bien traités » (https://www.l214.com/animaux/statistiques-pourcentage-elevage-intensif-viande-lait-oeufs/) 3. « On s'en fiche de la souffrance des animaux » (alors qu'en fait on n'accepte pas d'autres formes de souffrances animales) 4. « C'est la tradition », « C'est naturel » Pour l'année prochaine : prendre plus de temps sur ce point ?

Exemples de sujets : - La morale n’est-elle qu’un ensemble de conventions ? - La conscience morale n’est-elle que le résultat de l’éducation ? - Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? - Peut-on juger objectivement la valeur d’une culture ? - Puis-je sortir de ma culture ? - Suis-je ce que ma culture a fait de moi ? - La morale s'apprend-elle ? - Peut-on s’accorder sur des vérités morales ? - Faut-il se fier à ses sentiments pour agir moralement ? - N’est-on moral que par intérêt ? - La culture est-elle un obstacle à la barbarie ? - Avons-nous des devoirs envers les animaux ? - La technique peut-elle transformer la morale ? - La connaissance d'autrui est-elle possible ? - La conscience morale n’est-elle que le résultat de l’éducation ? - La morale peut-elle se passer d’un fondement religieux ? - Peut-on fonder la morale sur la recherche du bonheur ? - Faire son devoir, est-ce renoncer à sa liberté ? - En politique, a-t-on le droit de sacrifier la morale à l’efficacité ? - Respecter autrui, est-ce respecter sa différence ?