« [Une personne est] un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même […] ; ce qu’il fait uniquement par la conscience qui est inséparable de la pensée, et lui est essentielle à ce qu’il me semble : car il est impossible à quelqu’un de percevoir sans percevoir aussi qu’il perçoit. Quand nous voyons, entendons, sentons par l’odorat ou le toucher, éprouvons, méditons ou voulons quelque chose, nous savons que nous le faisons […] : ce par quoi chacun est pour lui‑même précisément ce qu’il appelle soi […]. »
John Locke, Essai sur l'entendement humain, II, 27
“[Une personne] est”
Qu'est-ce qu'une personne ?
Une personne ≠ un objet, une chose, = un sujet.
Sens moral : un être qui a une dignité, que l'on doit respecter (cf. Kant).
Ce qui intéresse Locke ici, c'est de décrire ce qu'est une personne.
“un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même”
Y a-t-il un ordre dans cette énumération de termes ?
Hypothèse : la pensée et l'intelligence (représentations mentales et raisonnements) ≠ la raison et la réflexion (des pensées à propos de ses propres pensées) ≠ la conscience de soi (des représentations à propos de soi en tant que tel)
Une même idée : la conscience comme fondement de la notion de personne. Et plus précisément : la conscience de soi comme critère essentiel.
Est-ce vrai ? Exemples intéressants à mobiliser : le fœtus, les animaux, les robots et l'intelligence artificielle.
Qu'est-ce que la conscience de soi ?
Trois formes de conscience de soi (une distinction de Damasio) :
1/ la conscience de son corps (le proto‑soi) ;
2/ la conscience d'être la source de ses pensées et de ses actes (le soi central) ;
3/ la conscience de sa vie passée, de son identité présente, de ses désirs pour le futur (le soi autobiographique).
“ce qu’il fait uniquement par la conscience qui est inséparable de la pensée, et lui est essentielle à ce qu’il me semble : car il est impossible à quelqu’un de percevoir sans percevoir aussi qu’il perçoit. Quand nous voyons, entendons, sentons par l’odorat ou le toucher, éprouvons, méditons ou voulons quelque chose, nous savons que nous le faisons”
D'après Locke, toutes les représentations mentales sont nécessairement des représentations conscientes.
Est-ce vrai ? Cf. le travail sur l'inconscient psychique (inconscient freudien et inconscient cognitif) dans le cours sur le libre arbitre.
“ […] : ce par quoi chacun est pour lui‑même précisément ce qu’il appelle soi […].”
La conscience de ses propres représentations mentales permet de prendre conscience de soi. À travers mes représentations mentales, je peux saisir ce que je suis.
En quel sens ? Est-ce vrai ? Pour mieux comprendre ce que dit Locke, on peut comparer ici l'approche de Locke à celle de deux philosophes : Descartes et Hume.
« J'avais dès longtemps remarqué […] [qu']il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu'on sait être fort incertaines […], mais, parce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point, après cela, quelque chose […] qui fût entièrement indubitable. […] Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée [ ] je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. […] [J]e connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui […]. »
Descartes, Discours de la méthode, IV
« Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi ; que nous sentons son existence et sa continuité d'existence ; et que nous sommes certains, plus que l'évidence d'une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. (…) Pour ma part, quand je pénètre au plus intime de ce que j’appelle moi, je tombe toujours sur telle ou telle perception particulière, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. À aucun moment je ne puis me saisir moi sans saisir une perception, ni ne puis observer autre chose que la dite perception. […] [J’]ose affirmer du reste des hommes qu’ils ne sont rien d’autre qu’un faisceau ou une collection de différentes perceptions qui se succèdent les unes les autres avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un perpétuel flux et mouvement. »
Hume, Traité de la nature humaine, I, IV, VI
Pour Locke, le moi n'est pas une chose à laquelle la conscience permet d'accéder.
Le moi est l'activité même de la conscience, qui rassemble en une personne un ensemble de vécus présents et passés.
B. L'identité d'une personne dans le temps repose sur la conscience de son passé
« Mais l’identité personnelle […] s’étend aussi loin que peut remonter la conscience dans ses pensées et ses actes passés […]. [P]uisque c’est la même conscience qui fait qu’un homme est lui-même à ses propres yeux, l’identité personnelle dépend de cette conscience seule, qu’elle soit rattachée à une seule substance individuelle, ou qu’elle se préserve à travers la succession de substances diverses. Car, dans la mesure où un être intelligent peut reproduire l’idée de n’importe quelle action passée avec la même conscience qu’il en avait à l’époque et y ajouter la même conscience qu’il a de n’importe quelle action présente, dans cette mesure il est le même soi personnel. […] [Et] s’il était possible que la même personne ait à différents moments des consciences distinctes et incommunicables, le même homme constituerait sans doute différentes personnes à différents moments. […] »
John Locke, Essai sur l'entendement humain, II, 27
“Mais l’identité personnelle […] s’étend aussi loin que peut remonter la conscience dans ses pensées et ses actes passés […].”
Le critère de l'identité est psychologique et non pas physique et Locke défend plus précisément une conception mémorielle de l'identité : l'identité repose sur la capacité de se souvenir de son passé.
Exemples intéressants à mobiliser : (i) les changements physiques, (ii) les changements dans la manière d'être, le caractère, les croyances ou les valeurs (cf. le cas de Stanley “Tookie” Williams), (iii) l'amnésie ou la maladie d'Alzheimer (cf. le film Still Alice), (iv) le film Memento.
Un problème : l'objection du brave officier, de Thomas Reid.
Cas similaire : la photo de soi à 2 ans (aucun souvenir de cette période).
Une solution : la continuité psychique (l'existence d'une chaîne de relations) plutôt que l'existence d'une connexion mémorielle directe.
“[P]uisque c’est la même conscience qui fait qu’un homme est lui-même à ses propres yeux, l’identité personnelle dépend de cette conscience seule, qu’elle soit rattachée à une seule substance individuelle, ou qu’elle se préserve à travers la succession de substances diverses. Car, dans la mesure où un être intelligent peut reproduire l’idée de n’importe quelle action passée avec la même conscience qu’il en avait à l’époque et y ajouter la même conscience qu’il a de n’importe quelle action présente, dans cette mesure il est le même soi personnel.”
L'identité personnelle ne repose pas sur l'identité d'une substance matérielle ou psychique (le corps, l'âme) qui resterait la même à travers les changements.
Il peut y avoir une même personne qui existe malgré le changement de substance.
Exemples intéressants à mobiliser : (i) le transfert d'une conscience dans un autre corps (le prince et le savetier, la transplantation de cerveau, …), (ii) la possibilité d'une vie antérieure.
“[Et] s’il était possible que la même personne ait à différents moments des consciences distinctes et incommunicables, le même homme constituerait sans doute différentes personnes à différents moments. […]”
On vient de voir le cas où A et B sont la même personne, alors qu'il y a deux substances différentes.
Mais il peut aussi y avoir deux personnes différentes qui existent dans la même substance, s'il n'y a pas de continuité psychique entre ces deux personnes.
Exemples intéressants à mobiliser : les fictions avec des personnes multiples dans un même corps(Locke : l'homme du jour et l'homme de la nuit, Stevenson : L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, …), des cas réels à discuter (les troubles dissociatifs de l'identité, les cerveaux divisés …)
Deux objections importantes
Le problème du double (exemple : le film Swan Song)
Le problème des faux souvenirs et des illusions sur soi : suis-je vraiment la personne que je crois être ?
C. La notion d'identité est importante
« Le soi est cette chose (peu importe la substance qui la constitue : spirituelle ou matérielle, simple ou composée) pensante, sensible (ou consciente) au plaisir et à la douleur, apte au bonheur ou au malheur et portant de ce fait intérêt à soi‑même jusqu’aux limites de sa conscience. […] Sur cette identité personnelle reposent tout le droit et la justice de la récompense et du châtiment. »
John Locke, Essai sur l'entendement humain, II, 27
“Le soi est cette chose (peu importe la substance qui la constitue : spirituelle ou matérielle, simple ou composée) pensante, sensible (ou consciente) au plaisir et à la douleur, apte au bonheur ou au malheur et portant de ce fait intérêt à soi‑même jusqu’aux limites de sa conscience.”
Locke souligne l'importance pour soi de l'identité personnelle, du point de vue de l'individu lui-même.
1/ Nous cherchons à nous maintenir et à maintenir notre identité dans le temps.
2/ D'un point de vue rationnel, il semble important de prendre des décisions en envisageant aussi les conséquences pour notre soi futur. C'est le principe de la prudence qui conduit à ne pas prendre en compte seulement l'intérêt immédiat, mais aussi l'intérêt sur le long terme.
3/ D'un point de vue moral, il semble important de considérer que chaque personne a une identité, son propre vécu et ses propres fins.
Une discussion possible : l'identité personnelle, est-ce vraiment si important ? Une référence à mobiliser : Derek Parfit.
« Quand je croyais en mon existence comme à un fait à part, il me semblait que j’étais emprisonné en moi-même. […] Quand ma vision a changé, les murs […] ont disparu. […] Il y a toujours une différence entre ma vie et celle des autres. Mais la différence est moindre. Les autres sont plus proches. Je suis moins soucieux du reste de ma propre vie, et plus soucieux de la vie des autres. En outre, […] [i]l y aura plus tard des souvenirs qui concernent ma vie. Et il pourrait y avoir plus tard des pensées qui seront influencées par les miennes, ou des choses réalisées suite à mes conseils. Ma mort rompra les relations les plus directes entre mes expériences présentes et ces futures expériences, mais elle ne brisera pas les diverses autres relations. C’est là tout ce en quoi consiste le fait qu’il n’y aura plus d’être vivant qui soit moi. Maintenant que j’ai vu cela, ma mort me semble moins grave. »
Derek Parfit, Reasons and Persons
“Sur cette identité personnelle reposent tout le droit et la justice de la récompense et du châtiment.”
Locke souligne l'importance pour les autres de l'identité personnelle, d'un point de vue institutionnel et social.
Le droit et la justice reposent sur la possibilité d'identifier un individu responsable d'un fait.
S'il n'y a plus de continuité psychique entre l'auteur passé d'un fait et la personne actuelle, la peine est-elle légitime ? Exemples intéressants à mobiliser :le cas de Stanley “Tookie” Williams, la question de la prescription.
personne, soi
identité ≠ diverrs
conscience, pensée, intelligence, raison, réflexion
temps
substance
bonheur-malheur, plaisir-douleur, intérêt
droit, justice
Qu'est-ce qui constitue l'identité d'une personne ?
L'identité d'une personne, notamment à travers le temps, repose sur la conscience.
Partie 1 : Être une personne, c'est avoir une conscience
Partie 2 : L'identité de la personne dans le temps repose sur la conscience de son passé
Partie 3 : La notion d'identité est importante
Organisation du propos :
P1 : Description de ce qu'est une personne, en général
P2 : Description de ce qui fait l'identité d'une personne particulière
P3 : Évaluation de l'importance de la notion d'identité personnelle
1/ conscience de son corps
proprioception
cas : membre-fantôme, O. Sacks : “la femme désincarnée”, “l'homme qui tombait de son lit”, “fantômes“.
Animaux : test de Gallup
cas : les athlètes (escalade)
Locke ne parle pas du tout de cet aspect-là de la conscience de soi
Locke laisse de côté la dimension corporelle de la conscience de soi.
How the Body Shapes the Mind
Shaun Gallagher
"a primary, embodied sense of self"
2/ conscience d'être la source de ses pensées et de ses actes
cf. cours sur le libre arbitre
Cas : schizophrénie
=> semble correspondre à ce que dit Locke dans le 1er pargraphe
3/ soi autobiographique
=> semble correspondre au 2e paragraphe
Toute représentation consciente de quelque chose est une forme de conscience de soi
Conscience d'objet => conscience du sujet conscient de cet objet de pensée.
Représentation mentale de quelque chose => conscience de cette représentation => conscience de soi
><span data-marpit-fragment="1">« Je suppose […] que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente […]. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? […]</span>
><span data-marpit-fragment="2">Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? […] Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point ?</span> <span data-marpit-fragment="3">Non certes ; j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. […] De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : _Je suis, j'existe_, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. »</span>
>>**Descartes**, _Méditations métaphysiques_, II
Comparaison avec le bouddhisme :
https://josephsoleary.typepad.com/my_weblog/2012/12/hume-et-le-bouddhisme.html
https://encyclo-philo.fr/bouddhisme-a#doctrnonsoi
https://plato.stanford.edu/entries/buddha/#NonSel
https://www.youtube.com/watch?v=XeZDt43Pij8
Chauvier, Stéphane. « La question philosophique de l’identité personnelle », Catherine Halpern éd., Identité(s). L'individu, le groupe, la société. Éditions Sciences Humaines, 2016, pp. 15-27.
https://www.cairn.info/identites--9782361063283-page-15.htm
Ceci suggère qu’on ne doit pas dire qu’une personne a une certaine conscience de soi, puisque la disparition de celle-ci ou le changement radical de son contenu entraîne la disparition de la personne. Il faut plutôt dire qu’une personne est une certaine conscience de soi, de sorte que si cette conscience de soi se trouvait radicalement changée, la personne le serait aussi.
Contre Descartes :
Contre Hume :
Le moi existe, il n'est pas une fiction
Il n'y a pas seulement une multiplicité de perceptions : ces perceptions sont unifiées au sein d'une conscience
film d’Aki Kaurismäki, L’Homme sans passé (2001)
Il peut y avoir une même personne qui existe dans deux substances différentes.
Si, entre A et B, la substance n'est pas la même (si ce n'est pas le même corps, ou pas la même âme), A et B sont la même personne s'il y a continuité psychique entre A et B.
A et B sont la même personne s'il y a continuité psychique entre A et B, même si la substance de A diffère de la substance de B.
S'il y a continuité psychique entre A et B, alors c'est la même personne, même si A et B correspondent à des substances différentes.
La même personne peut exister dans des substances différentes
Il peut s'agir de la même personne même s'il y a des substances différentes
Vie antérieure : croire qu'on est Napoléon …
MAIS :
cas du double
Question de la vérité, place du témoignage d'autrui ; récit de soi (identité narrative), image de soi : illusions sur soi
Exemples dans la science-fiction : faux souvenirs
Faut-il rejeter jusqu'à la notion même d'identité ?
Science-fiction / Westworld, Blade Runner, Dark City …
Shutter Island
Conscience de soi : partielle et partiale.
Ne pouvons-nous pas apprendre des autres des vérités sur nous-mêmes ?
La mémoire est sélective. Nous retenons ce qui nous arrange (?)
Exemple : construction d'une image de soi sur les réseaux sociaux (Instagram)
La conscience de soi : une simple image de soi ? Un simple récit sur soi ?
La notion d'identité est en partie narrative : elle repose sur un récit que l'on fait à propos de soi, et ce récit n'est pas une garantie de vérité.
L'identité réelle déborde la conscience que nous en avons. On ne peut pas assimiler l'identité à la conscience.
Ce que nous sommes véritablement échappe en partie à notre conscience.
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La mémoire est sélective.
- elle est partielle (je ne retiens pas tout)
- elle est partiale (je ne retiens que ce qui m'arrange)
La mémoire semble participer à la construction d'une image de soi
≠ représentation fidèle de la réalité
Exemple : construction d'une image de soi sur les réseaux sociaux (Instagram)
Plus précisément, la notion d'identité est en partie narrative : elle repose sur un récit que l'on fait à propos de soi, et ce récit n'est pas une garantie de vérité.
Christophe Salvat, “Parfit, l’égoïsme rationnel et la question de l’identité personnelle”, Œconomia, 5-4 | 2015, 437-460.
https://journals.openedition.org/oeconomia/2175
L’identité et ses dilemmes
De l’identité personnelle à la reconnaissance sociale
https://journals.openedition.org/teth/591