Yasmina Reza, Art (1994)
Notre réflexion s'inscrit ici dans la perspective d'une esthétique de la réception.
Première partie
On peut appeler expérience esthétique, l'expérience particulière que nous avons face à une œuvre d'art qu'on admire.
« [N]ous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. »
« Auxiliaire de l'action, la perception isole, dans l'ensemble de la réalité ce qui nous intéresse; elle nous montre moins les choses mêmes que le parti que nous pouvons en tirer. […] Mais […] quand [les artistes] regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, - pour rien, pour le plaisir. »
Bergson, Le Rire, III (première citation) & La pensée et le mouvant, “la perception du changement” (deuxième citation)
Perception ordinaire | Perception esthétique |
---|---|
? | ? |
? | ? |
? | ? |
? | ? |
Perception ordinaire | Perception esthétique |
---|---|
1 Perception pauvre | 6 Perception riche |
2 Sélection des informations utiles |
8 Fascination et absorption dans ce qu'on regarde |
7 Placer des étiquettes abstraites et générales sur les choses |
4 Être attentif à toutes les nuances de ce qu'on contemple |
5 Percevoir pour agir |
3 Percevoir pour percevoir |
Le lycée est un espace utilitaire, dont vous faites usage quotidiennement mais vous ne le regardez pas vraiment pour lui-même.
On peut distinguer trois formes d'expérience, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre :
« L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible »
Paul Klee
L'œuvre d'art nous apprend à voir autrement, à percevoir de manière
plus intense et plus fine le monde
« La musique révèle tous les mouvements les plus intimes de notre être. »
Schopenhauer
Les émotions auxquelles l'œuvre d'art nous conduit sont fortes, subtiles et profondes .
« La littérature est une extension de la vie, non seulement horizontalement, mettant le lecteur en contact avec des événements ou des lieux ou des personnes ou des problèmes qu’il n’a pas rencontrés en dehors de cela, mais également, pour ainsi dire, verticalement, donnant au lecteur une expérience qui est plus profonde, plus aiguë et plus précise qu’une bonne partie des choses qui se passent dans la vie »
Martha Nussbaum, Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, p. 48
L'œuvre d'art nous questionne, enrichit notre imagination, nous permet de nous comprendre, et de comprendre le monde, par une pensée incarnée, concrète et plus vive .
Deuxième partie
D'après le relativisme esthétique, les jugements sur la valeur d'une œuvre d'art sont purement subjectifs et particuliers.
« Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté […] : il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate […] J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe ; que cela est beau ! disait-il. […] Nous fîmes un voyage en Angleterre : on y joua la même pièce parfaitement traduite ; elle fit bâiller tous les spectateurs. […] Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est très relatif […] et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau »
Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, “Beau, beauté”
On pourrait également soupçonner derrière certains jugements sur l'art une forme de snobisme.
Afficher sa capacité à apprécier l'art, notamment sous des formes élitistes, ne serait-il pas simplement une stratégie de distinction sociale ?
De manière générale, nos jugements de goût nous jugent : ils fonctionnent comme un signe social de reconnaissance entre personnes qui ont les même goûts, et d'exclusion des personnes qui ne le partagent pas.
Pierre Bourdieu affirme en ce sens qu'il y a un espace social des goûts : les goûts expriment largement l'appartenance à une classe sociale.
Agnès Jaoui, Le Goût des autres (2000)
Le relativisme esthétique conduit à considérer que tous les jugements esthétiques se valent, étant donné l'absence de critère objectif, mais cela est très discutable.
« ll y a une bonne raison, dit Sancho au chevalier au grand nez, si je prétends être juge en matière de vin car c’est une qualité héréditaire dans notre famille. Deux de mes parents furent un jour appelés à donner leur opinion sur un tonneau de vin qu’on supposait excellent, vu son âge et son bon cru. L’un des deux le goûte, le considère et, après mûre réflexion, déclare que le vin est bon, si ce n’est un léger goût de cuir qu’il perçoit en lui. L’autre, après avoir usé des mêmes précautions, donne aussi son verdict en faveur du vin mais avec cette réserve : un goût de fer qu’il peut aisément distinguer. Vous ne sauriez imaginer comme leurs jugements furent tournés en ridicule. Mais qui fut le dernier à rire ? Quand le vin fut bu, on trouva au fond du tonneau une vieille clef attachée à une lanière de cuir. »
Hume, De la norme du goût
Hume compare le goût pour l'art au goût pour le vin.
On retrouve ici la même idée : le goût peut s'éduquer, on peut apprendre à apprécier un vin, et à développer ce que Hume appelle une délicatesse de goût qui va nous permettre de faire des comparaisons et d'avoir un jugement plus fin.
Selective attention test https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623133dfa5bdc https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623133c3a401d Door study https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623134548bc65
rappeler : subjectif donc : pas objectif particuliers donc : pas universels