Le terme de “vérité” est parfois employé de manière large pour désigner l'authenticité d'une chose (“un vrai Picasso”) ou la sincérité d'une personne (“une personne vraie”).
Au sens strict, ce qui est vrai ou faux, ce sont des affirmations : l'affirmation qu'il pleut est vraie s'il pleut, fausse s'il ne pleut plas.
La vérité semble pouvoir se définir comme la correspondance entre une affirmation et la réalité elle-même : une affirmation est vraie, si elle est conforme à la réalité, fausse si elle n'est pas conforme à la réalité.
Si la question « L'économie est-elle une science ? » vous intéresse, vous pouvez lire cet article de Quentin Ruyant sur son blog de philosophie des sciences.
Première partie
Le relativisme de la vérité est la thèse selon laquelle la vérité n'existe pas : il n'y aurait pas de vérité absolue, mais seulement une vérité relative à chaque individu (« à chacun sa vérité »).
Nous avons déjà rencontré des formes spécifiques de relativisme :
Le relativisme moral | Les jugements sur le bien et le mal sont relatifs : il n'y a pas de vérité morale absolue |
|
Le relativisme esthétique | Les jugements de valeur sur les œuvres d'art sont relatifs : il n'y a pas de vérité absolue en matière de goûts esthétiques |
Nous ne reviendrons pas ici sur les problèmes spécifiques que posent ces formes particulières de relativisme (cf. le cours sur la philosophie morale, et le cours sur l'art).
Ce qui nous intéresse ici, c'est l'examen du relativisme de la vérité, qui est un relativisme général.
Le relativisme de la vérité prétend souvent être le meilleur moyen de défendre plusieurs vertus :
L'humilité intellectuelle | Être relativiste, c'est éviter de prétendre qu'on a raison et que les autres ont tort |
La tolérance | Être relativiste, c'est accepter que des personnes aient des croyances différentes |
La non-domination | Être relativiste, c'est ne pas chercher à dominer les autres en prétendant justifier un pouvoir sur les autres par la vérité de notre discours |
L'ouverture aux autres | Être relativiste, c'est accepter de discuter avec les autres pour partager des points de vue différents |
Deuxième partie
L'argument moral ne constitue pas une bonne défense du relativisme de la vérité :
« Le relativisme […] garantirait, dit-on, le droit des dominés et des minorités à défendre leur propre vision du monde. Et, certes, il peut arriver qu’il leur offre temporairement une protection efficace. Mais, fondamentalement, il est contradictoire avec tout projet d’émancipation, car il dépossède les dominés des armes de la critique […]. Les dominés, en effet, ne peuvent espérer s’émanciper et retourner le rapport de force en leur faveur s’ils n’ont pas la possibilité de l’emporter sur les dominants dans l’espace des raisons : celui de la connaissance du monde et de la société où la seule force est celle des analyses et des arguments. C’est ce qu’avaient compris les Lumières en nouant l’alliance de la connaissance et de la liberté. En détruisant l’espace des raisons, le relativisme dénoue cette alliance et enferme les plus faibles dans le seul espace des rapports de force où ils seront, par définition, toujours les vaincus. »
Jean-Jacques Rosat, Préface à La peur du savoir de Paul Boghossian, éd. Agone, p. XXV
Si on dit que “chacun a sa vérité”, cela revient au fond à dire que “chacun a son opinion” : on fait comme si la vérité et l'opinion étaient des notions équivalentes. On refuse alors de distinguer les opinions vraies et les opinions fausses, ce qui semble illégitime au moins pour certains cas : dire que “2+2=5”, ou affirmer qu'il pleut alors qu'il ne pleut pas, tout cela constitue manifestement des opinions fausses.
De plus, quand on exprime son opinion, on exprime un engagement envers la vérité de ce qu'on affirme. Cela n'aurait pas de sens de dire : “Je pense qu'il pleut, mais ce n'est pas vrai qu'il pleut”.
Si on affirme que la vérité n'existe pas, cela signifie qu'on affirme que c'est vrai que la vérité n'existe pas. On présuppose donc qu'il y a au moins une vérité (que la vérité n'existe pas). Par conséquent : on se contredit. On affirme à la fois qu'il n'y a pas de vérité et qu'il y en a une.
Autre manière de formuler cet argument : défendre le relativisme, c'est affirmer la vérité du relativisme, mais le relativisme affirme qu'il n'y a pas de vérité, donc que le relativisme n'est pas une thèse vraie …
Le relativisme de la vérité est auto-réfutant : il se réfute lui-même.