Q3 – L'œuvre d'art ne vaut-elle que par ce qu'elle nous apporte ?

Cédric Eyssette (2022-2023)
https://eyssette.github.io/

I – Les esthétiques
de la réception

Première partie

Définition

= Des théories fondées sur le point de vue du spectateur qui reçoit l'oeuvre : ce que nous recherchons dans l'art, c'est une expérience particuliere, l'expérience esthétique, qui est plus intense et plus profonde que l'expérience ordinaire.

Un tour de magie 🔗 🔗 🔗

« [N]ous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. »

« Auxiliaire de l'action, la perception isole, dans l'ensemble de la réalité ce qui nous intéresse; elle nous montre moins les choses mêmes que le parti que nous pouvons en tirer. […] Mais […] quand [les artistes] regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, - pour rien, pour le plaisir. »

Bergson, Le Rire, III & La pensée et le mouvant, “la perception du changement”

Perception ordinaire Perception esthétique
? ?
? ?
? ?
? ?
  1. Perception pauvre
  2. Sélection des informations utiles
  3. Percevoir pour percevoir
  4. Être attentif à toutes les nuances de ce qu'on contemple
  5. Percevoir pour agir
  6. Perception riche
  7. Placer des étiquettes abstraites et générales sur
    les choses
  8. Fascination et absorption dans ce qu'on regarde

L'impressionnisme (Monet : série des Cathédrales de Rouen)

Le lycée est un espace utilitaire, dont vous faites usage quotidiennement mais vous ne le regardez pas vraiment pour lui-même.

  • Votre défi : faire une photographie artistique dans le lycée et essayer de saisir un aspect du lycée auquel vous n'avez jamais été attentif !

Généralisation de l'idée

Nous pouvons grâce à l'art accéder à des nuances plus riches de sensation, d'émotions, de pensée et de réflexion.

« L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible »

Paul Klee

🔗

« La musique révèle tous les mouvements les plus intimes de notre être. »

Schopenhauer

🔗 🔗

« La littérature est une extension de la vie, non seulement horizontalement, mettant le lecteur en contact avec des événements ou des lieux ou des personnes ou des problèmes qu’il n’a pas rencontrés en dehors de cela, mais également, pour ainsi dire, verticalement, donnant au lecteur une expérience qui est plus profonde, plus aiguë et plus précise qu’une bonne partie des choses qui se passent dans la vie »

Martha Nussbaum, Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, p. 48 🔗

II -
Deux questions

Deuxième partie

A. Une forme
de relativisme esthétique ?

Définition

D'après le relativisme esthétique, les jugements sur la valeur d'une œuvre d'art sont purement subjectifs et particuliers.

« Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté […] : il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate […] J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe ; que cela est beau ! disait-il. […] Nous fîmes un voyage en Angleterre : on y joua la même pièce parfaitement traduite ; elle fit bâiller tous les spectateurs. […] Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est très relatif […] et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau »

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, “Beau, beauté”

Si le relativisme esthétique est vrai, alors tous les jugements esthétiques se valent. Mais …

  1. Les jugements esthétiques qui ne reposent que sur des préjugés ne valent rien.
  2. On peut parvenir à un meilleur jugement esthétique quand on a plus d'expérience d'un art : on peut davantage comparer la valeur des œuvres.
  3. La pratique d'un art et des connaissances théoriques ou techniques peuvent nous faire davantage apprécier une œuvre.

En définitive, tous les jugements de valeur sur l'art ne se valent pas et le goût peut s'éduquer : nous pouvons apprendre à apprécier une œuvre d'art.

« Deux de mes parents furent un jour appelés à donner leur opinion sur un tonneau de vin qu’on supposait excellent, vu son âge et son bon cru. L’un des deux le goûte, le considère et, après mûre réflexion, déclare que le vin est bon, si ce n’est un léger goût de cuir qu’il perçoit en lui. L’autre, après avoir usé des mêmes précautions, donne aussi son verdict en faveur du vin mais avec cette réserve : un goût de fer qu’il peut aisément distinguer. Vous ne sauriez imaginer comme leurs jugements furent tournés en ridicule. Mais qui fut le dernier à rire ? Quand le vin fut bu, on trouva au fond du tonneau une vieille clef attachée à une lanière de cuir. »

Hume, De la norme du goût

Hume compare le goût pour l'art au goût pour le vin.

On peut apprendre à apprécier une œuvre d'art comme un vin, et à développer ce que Hume appelle une délicatesse de goût qui va nous permettre d'avoir un jugement plus fin.

B. Une forme de snobisme social ?

Afficher sa capacité à apprécier l'art, notamment sous des formes élitistes, ne serait-il pas simplement une stratégie de distinction sociale ?

La sociologie de l'art montre que :

  1. Les jugements sur l'art sont en partie déterminés par la classe sociale à laquelle on appartient : il y a un “espace social des goûts”.
  2. Les jugements sur l'art font l'objet d'une stratégie de distinction sociale et il existe une hiérarchie sociale des goûts.
  3. « Nos jugements de goût nous jugent » : ils fonctionnent comme un signe social de reconnaissance entre personnes qui ont les même goûts, et d'exclusion des personnes qui ne le partagent pas

Agnès Jaoui, Le Goût des autres (2000)

Mise en
pratique

Exercice d'application

  • Choisir un sujet ci-dessous :
    • Faut-il être cultivé pour apprécier une œuvre d’art ?
    • Qu'est-ce qui distingue une œuvre d'art d'un objet quelconque ?
    • L'art nous détourne-t-il de la réalité ?
    • L'art est-il le dévoilement d'une vérité ?
    • L'œuvre d'art a-t-elle un sens ?
    • Les œuvres d'art nous enseignent-elles quelque chose ?
    • L'art est-il inutile ?
    • L’art sait-il montrer ce que le langage ne peut pas dire ?
    • Peut-on reprocher une faute de goût ?
  • Rédiger une sous-partie de dissertation (autour de 300 mots)
    ⚠️  il faut défendre une seule réponse, mobiliser le cours, et utiliser le modèle ARES

Selective attention test https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623133dfa5bdc https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623133c3a401d Door study https://ladigitale.dev/digiplay/#/v/623134548bc65

TODO : liens Digiplay à faire

TODO : liens Digiplay à faire

rappeler : subjectif donc : pas objectif particuliers donc : pas universels "des goûts et des couleurs on ne discute pas" de gustibus et coloribus non est disputandum

* Si une personne affirme que « le rap, le heavy metal c'est très mauvais et cela ne vaut rien », alors qu'elle ne connaît rien à ces musiques, son jugement est-il acceptable ? * Si un enfant affirme que la chanson « Je serai (ta meilleure amie) » de Lorie est géniale, alors qu'un critique musical aurait quelques doutes sur la valeur de cette chanson, faut-il penser que ces deux jugements se valent ? * Quelqu'un qui pratique un instrument de musique et qui a certaines connaissances sur l'harmonie musicale n'est-il pas davantage capable d'apprécier la musique classique ou le jazz ?