Q1 - La technique
permet-elle de
maîtriser la nature ?

Cédric Eyssette (2023-2024)
https://eyssette.github.io/

« [Les dieux] chargèrent Prométhée et Épiméthée de répartir les capacités entre chacune [des races mortelles], en bon ordre, comme il convient. Épiméthée demande alors avec insistance à Prométhée de le laisser seul opérer la répartition : « Quand elle sera faite, dit-il, tu viendras la contrôler. » L’ayant convaincu de la sorte, il opère la répartition. […] Cependant, comme il n’était pas précisément sage, Épiméthée, sans y prendre garde, avait dépensé toutes les capacités pour les bêtes, qui ne parlent pas ; il restait encore la race humaine, qui n’avait rien reçu, et il ne savait pas quoi faire. Alors qu’il était dans l’embarras, Prométhée arrive pour inspecter la répartition, et il voit tous les vivants harmonieusement pourvus en tout, mais l’homme nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. […] Face à cet embarras, ne sachant pas comment il pouvait préserver l’homme, Prométhée dérobe à Héphaïstos et à Athéna le savoir technique avec le feu […] et c’est ainsi qu’il en fait don à l’homme »

Platon, Protagoras, 320d-321d

I –
La technique comme
maîtrise de la nature

Première partie

Le mythe de Prométhée

Le feu représente avant tout l'idée que la puissance technique permet de compenser la faiblesse naturelle de l'être humain et de maîtriser ainsi la nature sauvage.

Mais c'est surtout avec les technologies modernes que les êtres humains vont parvenir à une véritable maîtrise de la nature

Techniques artisanales Technologies modernes
Savoir-faire empirique Savoir scientifique
Compétences acquises
par essai/erreur individuel ou transmission sociale
Procédés industriels
issus de la recherche

« Faisons-nous une idée claire, tout d'abord, de ce que signifie pratiquement en fait cette rationalisation par la science et par la technique guidée par la science. […] Cela signifie le désenchantement du monde. Nous n'avons plus […] à recourir à des moyens magiques pour maîtriser les esprits et les solliciter. Bien plutôt, des moyens techniques et le calcul sont disponibles à cet effet. »

Max Weber, Le savant et la politique

La technologie repose sur l'objectivation de la nature par la science et un processus de désenchantement du monde.

La science moderne va mettre en évidence des lois de la nature fondées sur la mathématisation des phénomènes physiques.

Définition

Une loi de la nature est une relation constante entre plusieurs paramètres physiques.
Cette relation s'exprime sous la forme d'une équation mathématique entre des grandeurs physiques.
Exemple : la loi d'Ohm (U = RI)

La technique permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »

Descartes, Discours de la méthode, VI

La maîtrise théorique des lois de la nature va permettre la maîtrise pratique des forces et ressources de la nature.

Il s'agit d'une conception instrumentale et anthropocentrique de la nature

James Cameron, Avatar (2009)

II –
La question
écologique

Deuxième partie

A. Hans Jonas

« [L]'essence de l'agir humain s'est transformée ; et […] la transformation de la nature de l'agir humain rend également nécessaire une transformation de l'éthique »

Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979), ch. 1

« [L]'essence de l'agir humain s'est transformée »

  • Qu'y a-t-il de nouveau dans les technologies modernes par rapport aux techniques traditionnelles ?
Techniques traditionnelles Technologies
modernes
Exploitation limitée
des ressources
Exploitation massive
des ressources
Portée locale Portée globale
Effets temporaires, réversibles, cohérents avec les équilibres écosystémiques Effets durables, voire irréversibles, qui perturbent certains équilibres écosystémiques
Transformations peu profondes Transformations en profondeur

Hans Jonas critique le solutionnisme technologique, qui ne représente pour lui qu'une fuite en avant.

Définition

Le solutionnisme technologique désigne l'idée qu'on peut toujours trouver une solution technologique aux problèmes que rencontrent les êtres humains

« Un impératif adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau type de sujets de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la Permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l'exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton vouloir ». »

Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979)

Une nouvelle forme de responsabilité

Responsabilité orientée vers le futur

Responsabilité envers l'humanité tout entière

Responsabilité qui implique des devoirs envers la nature

Dans ce cadre de pensée, les devoirs envers la nature sont des devoirs indirects envers les êtres humains.

Mais ne peut-on pas penser des devoirs directs envers la nature ?

B. Les éthiques environnementales

1/ Une critique de l'anthropocentrisme : on parle alors d'écocentrisme ou d'écologie profonde

2/ Une critique de la valeur simplement instrumentale de la nature : la nature n'est pas seulement un ensemble de ressources utiles.

« Un riche excentrique achète une propriété […]. La maison […] bénéficie de l’ombre d’arbres centenaires. Mais le nouveau propriétaire est un amoureux du soleil et, en outre, considère qu’entretenir un jardin génère trop de tracas. Il fait donc raser les arbres et recouvrir le jardin d’asphalte. Aucun droit de propriété n’a été violé, aucune perte de bien-être occasionné, le nombre de créatures sensibles qui ont eu à pâtir de cette décision est insignifiant. Pourtant, même un observateur qui ne serait guère intéressé par la préservation de l’environnement ressentirait quelque chose comme un outrage et comme un malaise moral face à un tel agissement. Pourquoi un tel malaise ? […] Ce qui est choquant chez lui, c’est son arrogance environnementale, disposition qui constitue un vice. A contrario, bien entendu, on tiendra l’humilité environnementale pour une vertu. […] L’arrogance environnementale consiste à se donner une importance excessive au sein de la nature. […] C’est […] le fait d’être incapable d’imaginer que les choses et les êtres puissent, indépendamment de tout contexte d’utilité, être valorisé pour eux-mêmes. […] [L]’humilité environnementale est une reconnaissance de ses propres limites. […] Les Alpes, une tempête en mer, le grand canyon, des séquoias majestueux et le “ciel étoilé au-dessus de nos têtes” : tout cela incite les personnes à réfléchir sur l’insignifiance relative de nos préoccupations quotidiennes, et même de notre propre espèce. »

Jean-Yves Goffi, « L’éthique des vertus et l’environnement »

- Dans ce mythe, qu'est-ce qui montre que la technique joue un rôle essentiel pour les êtres humains ? - Dans ce mythe, qu'est-ce qui montre que la technique représente une puissance qui peut nous dépasser et nous échapper ?

rationalisation de l'univers

![](https://i.ibb.co/pnpq3bT/avatar-nature.png)

Anthropocène Exemple du changement climatique Transition avec la diapo suivante : "la transformation de la nature de l'agir humain rend également nécessaire une transformation de l'éthique" => pas une solution technologique