Q1b –
Faut-il douter
de tout ?

Cédric Eyssette (2023-2024)
http://eyssette.github.io

I -
Les arguments
en faveur
du doute

Première partie

A. Le doute
est nécessaire

Portrait de Kant

« Les “Lumières” se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute lorsqu'elle résulte non pas d'une insuffisance de l'entendement, mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières.
Paresse et lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute tutelle étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs; et qu'il soit si facile à d'autres de les diriger. Il est si commode d'être mineur. »

Kant, Qu'est-ce que les Lumières ?

Le doute semble nécessaire pour affirmer l'autonomie de notre pensée, pour réfléchir par soi-même.

Il s'agit, comme le dit Kant, d'avoir “le courage de se servir de son propre entendement”.

Sinon nous sommes comme des mineurs sous tutelle, c'est-à-dire que nous sommes dirigés par d'autres, soumis à des préjugés et aux idées dominantes.

L'enjeu c'est donc ici la liberté et la lutte contre la domination.

B. Le doute
est possible

Définition

  • Le scepticisme affirme que l'on peut douter de la vérité de nos croyances
  • Il ne rejette pas l'existence de la vérité, mais seulement la possibilité de la connaître.
  1. Nos facultés (nos sens, notre mémoire, …) peuvent nous tromper : nous pouvons être dans l'illusion 🔗
  2. Il peut y avoir un désaccord entre différentes théories
  3. On peut imaginer un “scénario sceptique” dans lequel notre expérience est identique, mais ce qu'on croit vrai est faux : on pourrait imaginer que nous sommes en fait dans un rêve, ou dans un univers virtuel.

photogramme du film Dark Star de John Carpenter : dialogue entre un homme et une bombe qui va exploser

John Carpenter, Dark Star (1974)
(Cliquer sur l'image pour voir la vidéo)

II - Les limites
du doute

Deuxième partie

Portrait de Malebranche

« [I]l y a bien de la différence entre douter et douter. On doute par emportement et par brutalité, par aveuglement et par malice ; et enfin par fantaisie, et parce que l'on veut douter. Mais on doute aussi par prudence […], par sagesse et par pénétration d'esprit… Le premier doute est un doute de ténèbres qui ne conduit point à la lumière, mais qui en éloigne toujours ; le second naît de la lumière et il aide en quelque façon à la produire à son tour. »

Malebranche, De la recherche de la vérité, 1675, I, XX

A. Le doute doit être raisonnable

Le doute est déraisonnable quand les arguments avancés pour justifier le doute ne sont pas fondés.

Le doute est raisonnable quand il y a une bonne raison de douter.

Exemples :

  1. Les “platistes” : ceux qui croient que la Terre est plate
  2. Le révisionnisme en histoire : ceux qui nient l'existence de certains faits historiques
  3. Les théories du complot
  4. Les climato-sceptiques

B. Le doute doit être méthodique

« [L]es théories [scientifiques sont] comme des conjectures ou des suppositions librement créées par l'esprit qui s'efforce de résoudre les problèmes posés par les théories précédentes […]. Une fois énoncées, les théories […] doivent être confrontées rigoureusement et impitoyablement à l'observation et à l'expérience. Il faut éliminer les théories incapables de résister aux tests de l'observation ou de l'expérience […]. La science progresse par essais et erreurs, par conjectures et réfutations. »

A. Chalmers, Qu'est-ce que la science ?, chap. 4

La science n'est pas un domaine de certitudes prouvées par l'expérience.

La science se définit par l'idéal d'une démarche critique portée à un maximum de rigueur : ce n'est pas un simple doute de principe.

La démarche scientifique consiste à faire des hypothèses qui conduisent à des explications et des prédictions précises

≠ faire des hypothèses vagues qui en restent à des remarques générales

⇒ Le doute est nécessaire face à des hypothèses qui ne conduisent pas à des explications et des prédictions précises.

La démarche scientifique consiste à accepter la confrontation avec l'expérience et la communauté scientifique

≠ refuser la critique (p.ex. en se présentant comme un génie incompris ou en interprétant la critique comme un signe de la vérité de sa théorie)

≠ ne pas prendre en compte les données observées

Le doute est nécessaire face aux théories qui ne se confrontent pas avec l'expérience et la communauté scientifique.

Mais le doute n'est pas légitime s'il conduit à ne pas se confronter avec l'expérience ou avec la communauté scientifique.

≠ doute de principe

Exemples - effet Barnum