Q1c –
Le langage est-il
un obstacle à la
connaissance ?

Cédric Eyssette (2023-2024)
http://eyssette.github.io

I –
Un obstacle à
la connaissance

Première partie

A. Le langage est d'abord une
réalité sociale dont la finalité
n'est pas la connaissance

Antoine Gallien, Baisemains et mocassins (2005)
Enquête de l'émission Strip-tease sur la pratique
des rallyes dans la haute bourgeoisie

Notre parole est un marqueur social : par la parole s'exprime notre position sociale. L'usage que nous faisons du langage est avant tout l'expression d'un rapport social.

Le vocabulaire que nous employons n’est pas neutre. Il exprime des valeurs et une interprétation particulière de la réalité.

« [L]'échange linguistique est aussi un échange économique, qui s'établit dans un certain rapport de forces symbolique entre un producteur, pourvu d'un certain capital linguistique, et un consommateur (ou un marché), et qui est propre à procurer un certain profit matériel ou symbolique. Autrement dit, les discours ne sont pas seulement (ou seulement par exception) des signes destinés à être compris, déchiffrés ; ce sont aussi des signes de richesse destinés à être évalués, appréciés et des signes d'autorité, destinés à être crus et obéis. »

Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques

B. Le langage reste général et abstrait

« Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage. Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âme qui se dérobent à nous […]. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles »

Bergson, Le rire

Cliquer sur l'image pour accéder à la carte mentale

II –
Une condition de
la connaissance

Deuxième partie

A. Une condition
de la pensée

Le langage humain ne se réduit pas à des signaux. Il rend possible la communication d'une pensée qui peut être interprétée et discutée.

Définition

Un signal est un signe qui vise à déclencher un comportement

« Le message des abeilles n'appelle aucune réponse de l'entourage, sinon une certaine conduite, qui n'est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d'autres qui parlent, telle est la réalité humaine. [...] Parce qu'il n'y a pas de dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée “linguistique” [...] L'abeille ne construit pas de message à partir d'un autre message. [...] L'ensemble de ces observations fait apparaître la différence essentielle entre les procédés de communication découverts chez les abeilles et notre langage. Cette différence se résume dans le terme qui nous semble le mieux approprié à définir le mode de communication employé par les abeilles ; ce n'est pas un langage, c'est un code de signaux. »

Benveniste, Problèmes de linguistique générale

B. Une condition d'une
pensée conceptuelle,
riche et précise

1/ Il ne semble pas y avoir de limite
à ce que le langage peut exprimer

C'est ce qu'on appelle le principe d'exprimabilité : on peut toujours enrichir son propos afin de préciser ce que l'on veut dire.

Ce principe semble justifié par la structure même du langage, qui permet de produire un nombre infini de phrases.

Définition

  • Les phonèmes sont les sons caractéristiques d'une langue
  • Plus précisément, un phonème est une unité de son, élémentaire, indécomposable, qui peut produire une différence de sens

Les phonèmes permettent de constituer des morphèmes : “inacceptables” se décompose en “in” + “accept” + “able” + “s”.

Définition

  • Un morphème est une unité de sens, élémentaire, indécomposable, qui permet de construire des mots

Les morphèmes permettent de constituer des mots et des phrases constituées de ces mots.

On arrive ainsi à l'idée de productivité du langage (voir la diapositive suivante) qui justifie le principe d'exprimabilité.

2/ Les mots permettent
une pensée précise

« C'est dans les mots que nous pensons. Nous n'avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lors­que nous leur donnons [une] forme objective […] On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. »

Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, Philosophie de l'Esprit

Quand je n'arrive pas à exprimer une idée, la raison n'est pas que le langage est insuffisant, trop général ou abstrait pour dire ce que je pense.

C'est plutôt que ma pensée est “à l'état de fermentation”, en train de se construire et que je ne suis pas parvenu à une idée précise.

Ce sont les mots qui permettent la constitution d'une pensée précise et déterminée.

Exemple : chaque discipline scientifique et même chaque théorie scientifique a un vocabulaire théorique propre qui permet d'identifier dans le réel des aspects précis.

Sans ce vocabulaire, on ne peut rien observer de précis, rien comprendre précisément.

// Les mots ne sont pas faits pour la description, la pensée, la contemplation, mais pour l'action, l'utilité // abstrait / concret // général / singulier // simplification / complexité, richesse, finesse, nuances

// Faire schéma Bergson : Le langage d'après Bergson // Un ensemble d'étiquettes // générales : valent pour plusieurs choses, situations, personnes => suppriment la singularité du réel // abstraites : ne retiennent du réel qu'un aspect => suppriment les nuances et la richesse du réel

chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité

// Reprendre l'analyse de la danse des abeilles

// + cas du chant des oiseaux : dialogue ?