Q2 – L'expérience
est-elle la source de
nos connaissances
scientifiques ?

Cédric Eyssette (2023-2024)
https://eyssette.github.io/

Définition

  • L'empirisme est la thèse selon laquelle l'expérience est la source de nos connaissances.
  • Les vérités sur le monde ne sont pas des vérités de raison que l'on pourrait connaître a priori (= avant même toute expérience), mais des vérités de fait, que l'on ne peut connaître qu'a posteriori (= après l'expérience).

On peut distinguer deux formes d'empirisme :

  1. L'empirisme de la découverte, selon lequel l'expérience est l'origine de la connaissance : il faut d'abord observer le monde avant de formuler une théorie à partir des cas particuliers observés
  2. L'empirisme de la justification, selon lequel l'expérience est le fondement de la connaissance : seule l'expérience permet de confirmer qu'une théorie est justifiée.

I – Les limites de
l'empirisme de
la découverte

Première partie

1/ Première objection

Les hypothèses théoriques sont rarement construites à partir de l'observation de régularités dans les données disponibles : ce sont plutôt des conjectures audacieuses pour chercher à résoudre des problèmes théoriques.

Exemple principal : Neptune est d'abord une hypothèse construite par Urbain Le Verrier pour résoudre le problème du décalage entre la trajectoire calculée d'Uranus et la trajectoire observée.

2/ Deuxième objection

La théorie ne vient pas après l'expérience. L'expérience est elle-même chargée de théorie.

  1. La finalité de l'expérience est définie par une hypothèse théorique : l’observation dans une expérimentation n’est pas passive, elle est une recherche active d’informations, guidée par une théorie qui définit ce qu'on doit observer.
  2. La forme de l'expérience est définie par des théories : c'est grâce à des théories qu'on définit un protocole expérimental qui doit permettre d'obtenir des conditions optimales d'observation.
  3. Les moyens utilisés reposent sur des théories : une expérimentation repose sur des instruments scientifiques de mesure et d'observation. Or la fabrication, l’utilisation de ces instruments et l'interprétation des résultats dépendent de la maîtrise de théories scientifiques 

II – Les limites de
l'empirisme de
la justification

Deuxième partie

L'expérience ne peut pas prouver la vérité d'une théorie.

Une théorie est formulée de manière générale et même si une théorie est confirmée dans un grand nombre de cas particuliers, cela ne prouve pas qu'elle est toujours vraie.

« L'homme qui a nourri le poulet tous les jours de sa vie finit par lui tordre le cou, ce qui montre que le poulet aurait mieux fait d'avoir une vision plus subtile de l'uniformité de la nature »

Russell, Problèmes de philosophie, VI

  • Quel est alors le rôle de l'expérience dans la connaissance scientifique ?

Karl Popper considère que l'expérience n'a pas pour rôle de confirmer une théorie.
Une expérience peut seulement réfuter une théorie (c'est-à-dire prouver qu'elle est fausse).

En effet, le raisonnement suivant est valide :

Si l'hypothèse H est vraie, alors on doit observer O
Or, on n'observe pas O
Donc : l'hypothèse H est fausse, il faut changer d'hypothèse.

« [Le falsificationisme] considère les théories comme des conjectures ou des suppositions librement créées par l'esprit qui s'efforce de résoudre les problèmes posés par les théories précédentes […]. Une fois énoncées, les théories spéculatives doivent être confrontées rigoureusement et impitoyablement à l'observation et à l'expérience. Il faut éliminer les théories incapables de résister aux tests de l'observation ou de l'expérience […]. La science progresse par essais et erreurs, par conjectures et réfutations. Seules les théories les mieux adaptées survivent. On ne s'autorisera jamais à dire d'une théorie qu'elle est vraie, mais on tendra à affirmer qu'elle est la meilleure disponible, qu'elle dépasse toutes celles qui l'ont précédée. »

A. Chalmers, Qu'est-ce que la science ?, chap. 4

La connaissance scientifique n'est donc pas un domaine de certitudes prouvées par l'expérience, mais se définit par une démarche critique de confrontation avec l'expérience, qui permet simplement de sélectionner les théories les plus proches de la vérité.