Q3 – La croyance en Dieu est-elle irrationnelle ?

Cédric Eyssette (2023-2024)
https://eyssette.github.io/

I – Les croyances religieuses
semblent s'exliquer par des
facteurs affectifs et sociaux,
plutôt que par la raison

Première partie

On considère parfois que le terme “religion” dérive d'un terme, religare, qui signifie “relier”.

En effet, toute religion semble reposer sur un lien social fort entre les membres d'une même communauté et sur un lien psychique fort avec ce qu'elle considère comme le domaine du sacré.

En ce sens, les religions ne semblent pas fondées sur la raison et il faudrait plutôt faire appel aux sciences humaines, à la sociologie et à la psychologie, pour proposer des modèles explicatifs des croyances religieuses.

A. Sociologie des
croyances religieuses

On peut ici mobiliser le modèle de Durkheim, qui considère la religion comme fait social.

  1. Une croyance religieuse n'est pas une simple croyance personnelle : la religion est un phénomène collectif.
  2. Les croyances religieuses s'accompagnent de pratiques et de rites qui marquent des étapes de la vie sociale et renforcent le sentiment d'appartenance à une communauté.
  3. Toute religion remplit une fonction de régulation et de cohésion sociale en établissant des normes communes.
  4. Le sentiment de l'existence d'une force supérieure n'est que l'expression symbolique de la force de la société elle-même, qui dépasse celle de l'individu et lui donne la force d'agir.

« Puisque les dieux ne sont que des idéaux collectifs personnifiés, ce dont témoigne tout affaiblissement de la foi, c'est que l'idéal collectif s'affaiblit lui-même ; et il ne peut s'affaiblir que si la vitalité sociale est elle-même atteinte. En un mot, il est inévitable que les peuples meurent quand les dieux meurent si les dieux ne sont que les peuples pensés symboliquement. Le croyant lui-même ne peut pas ne pas reconnaître cette importance du facteur sociologique. »

Durkheim, “Le problème religieux et la dualité de la nature humaine”

B. Psychologie des
croyances religieuses

On peut ici mobiliser le modèle de Freud

« Les idées religieuses […] sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une existence future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un énorme allègement pour l'âme individuelle […]. »

Freud, L'Avenir d'une illusion

La religion pour Freud est avant une réponse à un besoin psychique d'allégement des angoisses humaines.

C'est la raison pour laquelle Dieu prend la figure d'un père tout puissant, bienveillant et omniscient qui vient répondre à notre besoin de protection et d'amour, à notre besoin moral de justice (croyance en un paradis pour les êtres bons), à notre besoin de sens.

Freud considère ainsi la religion comme une illusion, c'est-à-dire comme une idée à laquelle on croit, non pas pour des raisons justifiées, mais parce qu'elle correspond à nos désirs.

II – Y a-t-il des arguments
qui justifient la croyance
en un Dieu ?

Deuxième partie

A. Les arguments en faveur de l'existence de Dieu

1/ L'argument cosmologique

L'argument cosmologique prétend que s'il y a une raison qui explique l'existence de toute chose, alors il doit y avoir une raison qui explique l'existence du monde, et cela ne pourrait être que Dieu.

Problèmes : l'argument cosmologique montre qu'il y a, à la source de la croyance en un Dieu, un besoin de la raison de trouver une explication à l'existence même des choses (ce n'est donc pas une croyance irrationnelle au sens fort), mais il pose deux problèmes :

  1. L'argument postule qu'il doit exister un Dieu, mais ne prouve pas directement son existence : il n'offre aucun moyen de vérifier ce postulat et ne permet pas de comprendre précisément comment le monde serait créé par Dieu.
  2. S'il doit y avoir une raison qui explique l'existence de toute chose, quelle est la raison de l'existence de Dieu ?

2/ L'argument téléologique

L'argument téléologique prétend que le degré de complexité dans le monde (notamment la présence d'êtres organisés, d'êtres intelligents) ne peut s'expliquer que par l'existence d'une cause intelligente : Dieu. L'argument se fonde sur une analogie avec la complexité d'une montre découverte sur une île : on ne pourrait expliquer son existence qu'en supposant un horloger qui a construit cette montre.

Problèmes : l'argument téléologique prétend que la complexité dans le monde est l'effet d'une cause intelligente, mais il existe de plus en plus de modèles scientifiques naturalistes pour expliquer la complexité sans faire appel à une cause intelligente (p.ex. : la théorie de l'évolution) et le recours à Dieu n'apporte pas une réelle explication de la complexité observée dans le monde.

On peut difficilement affirmer que l'existence de Dieu est prouvée par la raison, mais peut-on affirmer qu'on peut prouver qu'il n'existe pas ?

B. Les arguments
à l'encontre de l'existence de Dieu

1/ L'argument de l'absence d'observation de Dieu

On ne peut pas observer directement Dieu, à moins de prétendre avoir vécu une expérience mystique mais qui ne pourra pas convaincre quelqu'un qui ne l'a pas vécu.

Cependant : l'absence d'observation n'est pas une preuve définitive de l'absence de l'existence de Dieu.

2/ L'argument du mal

L'argument du mal prétend que l'existence du mal est incompatible avec l'existence d'un être bienveillant, omniscient et omnipotent. Si Dieu est bon, sait tout et peut tout, comment peut-il laisser le mal exister dans le monde ?

Cependant : il existe des tentatives de justification de l'existence de Dieu contre l'argument du mal : on les appelle des théodicées. Certaines théodicées affirment que le mal est une épreuve ou un effet du libre arbitre humain, mais cela explique mal l'existence de certaines formes du mal, notamment le mal absolu (qui peut difficilement être conçu comme une simple épreuve) ou le mal naturel (qui n'est pas produit par des êtres humains). Toutefois un croyant peut considérer que le mal est finalement un mystère pour la raison humaine, qui, en raison de sa finitude, ne pourrait comprendre les raisons de Dieu.

Les arguments contre l'existence de Dieu peuvent difficilement être considérés comme des preuves que Dieu n'existe pas.

En définitive, la croyance en un Dieu ne semble ni prouvée par la raison, ni contraire à la raison.