La question directrice est ici la suivante :
On caractérise souvent la spécificité de l'être humain par son intelligence, raison pour laquelle notre espèce est nommée homo sapiens. Mais l'intelligence des êtres humains ne se manifeste-t-elle pas avant tout dans la capacité à inventer des techniques, des moyens efficaces pour parvenir à ses fins, des outils et des objets qui sont les produits de cette intelligence pratique ?
Bergson suggère en ce sens qu'on devrait nommer notre espèce homo faber plutôt qu'homo sapiens afin de mettre en évidence le caractère central de la technique dans l'évolution humaine.
« En ce qui concerne l’intelligence humaine, on n’a pas assez remarqué que l’invention mécanique a d’abord été sa démarche essentielle […] Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber »
Bergson, L'évolution créatrice, chapitre II
La thèse de Bergson doit être nuancée à la lueur des connaissances contemporaines sur les techniques animales. Nous savons en effet que de nombreux animaux font preuve d'une variété de formes de techniques qui justifient de ne plus tenir la technique simplement pour “le propre de l'homme”.
Néanmoins, il est légitime de faire une distinction entre les techniques animales et les techniques humaines.
Les animaux | Les êtres humains | |
---|---|---|
Les matériaux utilisés | issus du corps / trouvés dans la nature / légèrement modifiés | matériaux organisés et perfectionnés / invention de nouveaux matériaux |
La forme de l'activité technique | comportement instinctif / apprentissage de séquences d'actions | transmission culturelle riche / contrôle conscient et rationnel de l'activité |
Les moyens employés | organe avec une faible capacité manipulatoire / main / outil simple | variété et perfectionnement de gestes complexes / usage d'outils complexes, de machines |
Les finalités visées | usage déterminé / finalité simplement biologique | usage complexe / diversité des finalités |
La question directrice est ici la suivante :
Dans le mythe de Prométhée, dont nous avons parlé dans l'introduction, le vol du feu par Prométhée représente justement la possibilité pour l'être humain de ne plus vivre dans l'appréhension de la nature sauvage, et rend possible un début de maîtrise de ses propres conditions d'existence : grâce à la technique, l'être humain n'est plus nu, c'est-à-dire vulnérable face au monde extérieur.
Mais c'est surtout avec les technologie modernes que les êtres humains vont parvenir à une véritable maîtrise de la nature, dans la mesure où la technique va se fonder sur l'objectivation de la nature par la science et un processus de désenchantement du monde.
La maîtrise théorique des lois de la nature va permettre la maîtrise pratique des forces et ressources de la nature.
« Faisons-nous une idée claire, tout d'abord, de ce que signifie pratiquement en fait cette rationalisation par la science et par la technique guidée par la science. […] Cela signifie le désenchantement du monde. Nous n'avons plus […] à recourir à des moyens magiques pour maîtriser les esprits et les solliciter. Bien plutôt, des moyens techniques et le calcul sont disponibles à cet effet. »
Max Weber, Le savant et la politique
La technique permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »
Descartes, Discours de la méthode, VI
Ce qui rend possible la maîtrise théorique de la nature, c'est plus précisément la mise en évidence de lois de la nature par le biais de la mathématisation des phénomènes physiques.