Dans Utopias, Dolphins and Computers: Problems in Philosophical Plumbing, Mary Midgley propose une comparaison intéressante entre la plomberie et la philosophie. Voici un extrait sélectionné et une proposition de traduction (non-professionnelle).
Texte original
« Is philosophy like plumbing? […]
Plumbing and philosophy are both activities that arise because elaborate cultures like ours have, beneath their surface, a fairly complex system which is usually unnoticed, but which sometimes goes wrong. In both cases, this can have serious consequences. Each system supplies vital needs for those who live above it. Each is hard to repair when it does go wrong, because neither of them was ever consciously planned as a whole. There have been many ambitious attempts to reshape both of them. But, for both, existing complications are usually too widespread to allow a completely new start.
Neither system ever had a single designer who knew exactly what needs it would have to meet. Instead, both have grown imperceptibly over the centuries, in the sort of way that organisms grow, and are constantly being altered piecemeal to suit changing demands, as the ways of life above them have branched out. Both are therefore now very intricate. When trouble arises, specialized skill is needed if there is to be any hope of locating it and putting it right.
Here, however, we run into the first striking difference between the two cases. About plumbing, everybody accepts this need for trained specialists. About philosophy, many people […] not only doubt the need, they are often sceptical about whether the underlying system even exists at all. It is much more deeply hidden. When the concepts we are living by function badly, they don’t usually drip audibly through the ceiling or swamp the kitchen floor. They just quietly distort and obstruct our thinking. […]
We often don’t consciously notice this obscure malfunction […]. Notoriously, it is hard to see faults in our own motivation […]. But it is in some ways even harder — even less natural — to turn our attention to what might be wrong in the structure of our thought. Attention naturally flows outwards to faults in the world around us. Bending thought round to look critically at itself is quite hard. […] When things do go badly, however, we do have to do this. We must then somehow readjust our underlying concepts; we must shift the set of assumptions that we were brought up with […] — so as to find the source of trouble. […]
That need to readjust our concepts is the need that philosophy exists to satisfy. »
Midgley, Mary (1996). Utopias, Dolphins and Computers: Problems in Philosophical Plumbing, Routledge, p.1‑2
Proposition de traduction (non professionnelle)
« La philosophie ressemble-t-elle à la plomberie ? […]
La plomberie et la philosophie sont toutes les deux des activités qui naissent du fait que des cultures complexes comme la nôtre ont, sous leur surface, un système plutôt complexe, auquel on ne fait habituellement pas attention, mais qui peut parfois se détraquer. Dans les deux cas, cela peut avoir des conséquences graves. Chacun de ces systèmes pourvoit à des besoins vitaux pour ceux qui vivent au-dessus. Chacun d’eux est difficile à réparer quand quelque chose ne va pas, car aucun d’entre eux n’a jamais été consciemment planifié comme un tout. De nombreuses tentatives ambitieuses ont cherché à réorganiser ces deux systèmes. Mais, dans les deux cas, les complications existantes sont généralement trop répandues pour autoriser un véritable nouveau départ.
Aucun des deux systèmes n’a jamais eu un concepteur unique qui savait exactement à quels besoins il devait répondre. Au contraire, tous deux se sont développés de manière imperceptible au fil des siècles, un peu à la manière dont les organismes se développent, et ils sont constamment partiellement modifiés pour répondre à de nouveaux besoins, du fait de l’évolution des modes de vie au-dessus. Les deux systèmes sont donc maintenant très complexes. En cas de problème, des compétences spécifiques sont requises si on veut avoir une chance de le localiser et de le résoudre.
C’est ici cependant que nous rencontrons la première différence frappante entre les deux cas. Pour ce qui est de la plomberie, tout le monde accepte ce besoin de spécialistes qualifiés. En ce qui concerne la philosophie, beaucoup de personnes […] non seulement doutent de l’existence d’un tel besoin, mais elles sont souvent sceptiques quant à l’existence même de ce système sous-jacent. Il est beaucoup plus profondément caché. Quand les concepts qui structurent notre existence fonctionnent mal, ils ne dégoulinent pas ostensiblement à travers les plafonds, ils n’inondent pas le plancher de la cuisine. Ils ne font que fausser et obstruer discrètement notre pensée.
Souvent nous ne remarquons pas consciemment ce dysfonctionnement insensible […]. Il est bien connu qu’il est difficile de voir des défauts dans les propres motifs qui nous animent […] Mais il est d’une certaine manière encore plus difficile – et encore moins naturel – de tourner notre attention vers ce qui pourrait poser problème dans la structure de notre pensée. L’attention naturellement se porte vers l’extérieur sur les problèmes qui se posent dans le monde lui-même. Appliquer sur la pensée une tension telle qu’elle va se replier sur elle-même et porter un regard critique sur elle-même… est pour le moins difficile. […]
Cependant, quand la situation devient sérieuse, nous devons le faire. Nous devons alors, d’une manière ou d’une autre, réajuster nos concepts sous-jacents ; nous devons réviser l’ensemble des hypothèses qui constituent l’arrière-plan de ce que nous avons appris […] afin de trouver la source du problème.
La philosophie existe pour répondre à ce besoin de réajuster nos concepts. »
Midgley, Mary (1996). Utopias, Dolphins and Computers: Problems in Philosophical Plumbing, Routledge, p.1‑2