L’argument de la méta-induction pessimiste est un argument contre le réalisme scientifique, très bien expliqué par Michael Esfeld dans ce passage :
« Le pessimiste prend les théories que l’histoire des sciences nous présente comme des cas individuels. Il applique à ces cas la méthode de l’induction, effectuant ainsi une sorte de méta-induction : ici l’induction ne concerne pas des phénomènes dans le monde, mais des théories scientifiques. […] Comme un grand nombre de théories que nous a présentées l’histoire des sciences se sont révélées fausses, le pessimiste conclut à la règle générale que les théories scientifiques sont fausses. Sur cette base, il fait la prédiction que les théories dont nous supposons aujourd’hui la vérité se montreront fausses dans l’avenir. »
Esfeld, Michael. Philosophie des sciences : une introduction. 2e édition, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.6
Grâce au blog It’s Only A Theory, j’ai découvert un texte de Montaigne qui formulait déjà cet argument beaucoup discuté dans la philosophie contemporaine. Je cite le texte dans la traduction en français moderne de Guy Jacquesson (alias Guy de Pernon), qui a fait un travail admirable.
« Le ciel et les étoiles ont changé de place pendant trois mille ans ; tout le monde l’avait cru, jusqu’au jour où Cléanthe de Samos ou (selon Théophraste) Nicétas de Syracuse s’avisa de soutenir que c’était la Terre qui se déplaçait en tournant autour de son axe, selon le cercle oblique du Zodiaque. Et de nos jours, Copernic a si bien établi cette théorie, qu’il l’utilise couramment pour tous les calculs astronomiques. Que peut-on tirer de cela, sinon que peu nous importe de savoir lequel de ces deux points de vue est le bon ? Et qui sait d’ailleurs si dans mille ans, un troisième ne viendra pas réfuter les deux précédents ?
Ainsi le temps change les choses dans sa course ;
Celle qu’on aimait est méprisée ; une autre la remplace,
Et sort de la disgrâce, plus recherchée de jour en jour.
La nouveauté reçoit toutes les louanges, et parmi les mortels,
Obtient maintenant une étonnante estime.
Lucrèce, De la Nature, V, vv 1275 sq.Ainsi quand quelque théorie nouvelle se présente à nous, nous avons bien des motifs de nous en défier, et de considérer qu’avant qu’elle ne soit élaborée, c’était la théorie contraire qui était en vogue : comme elle a été renversée par celle-ci, il pourrait en apparaître dans l’avenir une troisième qui viendrait de même abattre la seconde. »
Montaigne, Essais, livre II, chapitre XII – Apologie de Raymond Sebond (traduction Guy Jacquesson)
Une version plus populaire de ce même argument peut se trouver dans la série Friends, lors d’une discussion entre Ross et Phœbe à propos de l’évolution (saison 2, épisode 3) !
Cet argument est bien sûr très discutable et j’essaierai plus tard d’en proposer une analyse critique.
Pour approfondir :
- Passage sur la méta-induction pessimiste dans l’Encyclopédie Stanford
- Bibliographie sur la méta-induction pessimiste sur Philpapers
- Analyse critique de cet argument et défense d’une forme de réalisme scientifique par Quentin Ruyant